lundi 30 novembre 2015


 A coté


De pâles étendards, des rêves d’enfants, cosmonautes et conquistadors, des images pour abolir le temps.
Enfant, je lisais Tout L’Univers, Tintin, et Jules Verne. Mon lit était l’univers entier. J’ai toujours lu allongé. Sans doute est ce une position propice à la grande évasion.  Il y avait les livres et BD autorisés, mais aussi le reste, le « vulgaire ». Les comics américains, Akim, Mandrake, Davy Crocket… Il étaient mes héros, mon shoot. Je m’approvisionnais à la librairie de la résidence ( une résidence c’est une cité, mais avec des bourgeois…). Ma technique était rodée. Je glissais dans un grand magazine - le journal de Mickey - tous les autres, plus petits, et je ne payais que le premier avec quelques pièces que j’avais fauché à ma mère.
Puis je consommais sur mon lit, un Tout L’Univers à portée de main, prêt à recouvrir l’objet du délit au cas mon père entrerait. Et je m’envolais, je gueulais, je bousculais tout autour de moi, rien ni personne ne me résistait. C’est ce monde que je choisissais plutôt que celui trop policé que l’on voulait pour moi. Regarder à coté, marcher à coté.
Des années plus tard, des années à parcourir d’autres routes que celles imaginées par un couple sans histoires, je me rends compte que si on ne m’ a pas montré ce qu’il y avait à coté, à la cave où au grenier, on ne m’ a jamais empêché d’y aller…

dimanche 29 novembre 2015



Mondes


Howard Phillips est un grand gaillard, hirsute et barbu toujours vêtu de la même salopette en jean délavé. Son vrai nom c’est Jon Peeters, mais à dix huit ans il n’a plus voulu d’un nom qu’il n’avait pas choisi. Il venait de lire « Démons et merveilles » de Howard Phillips Lovecraft. Bien sur, ce serait son nom!
Chaque dimanche, tôt le matin , H.P. sillonne les canaux d’Amsterdam avec son chat Schrödinger sur sa barque de bois et repêche les déchets du samedi soir, bouteilles, canettes et autres objets flottants.
Il passe là, hors champ, sur le Singel, qui longe l’arrière des boutiques du marché aux fleurs. Et ce matin, il repense à cet article qu’il vient de lire sur l’accélérateur de particules du CERN à Genève qui pourrait révéler des univers parallèles. Pfff… ça  fait bien longtemps qu’il sait lui…

samedi 28 novembre 2015


La peur


Balthazar a l’air si doux, presque mélancolique. Aldo, le dompteur se tient face à lui hors champ. Aldo est un homme mince, petit, le visage encadré de favoris grisonnants, un visage au couteau. Son apparente fragilité face à la puissance du tigre  a toujours été un atout pour le spectacle. L’homme et la bête se connaissent bien, sept ans qu’ils se côtoient. Un numéro au cordeau, jamais une incartade. Il y a deux jours, la foudre est tombée très près du chapiteau. Balthazar s’est énervé, a commencé à tourner en rond sur la piste, à lancer des coup de pattes en rugissant. Jamais il ne s‘était montré aussi menaçant. Aldo a du écourter le numéro. Qui a eu le plus peur ce jour là, Aldo où Balthazar? De retour dans sa cage l’animal s’est calmé. Aldo a mis un peu de temps avant de s’approcher et de le caresser. Depuis ce jour, Aldo ne dort pas très bien. Jamais le tigre ne l’avait regardé comme ça. Des images reviennent, qu’il croyait définitivement enfouies, des images sanglantes de son enfance pendant les années de plomb en Italie. Pourquoi?
Ils ont repris la route pour monter le chapiteau à Orgeval. Les orages ont cessé, le temps est au beau fixe. Ce soir, Aldo et Balthazar vont se retrouver sur la piste pour la première fois depuis l’orage.
Aldo regarde Balthazar, Balthazar regarde Aldo. S’il pouvait se parler!
Mais ce qui inquiète le plus Aldo, c’est que ce soir, il a peur d’avoir peur…

vendredi 27 novembre 2015



 Premier matin


 6h 30. La lune est encore là. Sylvain roule vite. Il chante à tue tête "La mer" de Charles Trenet. Il ne chante pas très juste. Ça fait rire Christelle, allongée derrière. Entre deux gémissements. Elle a mal. Les premières contractions ont commencé il y a un quart d'heure. La maternité est à une demi heure de route. Sylvain chante, Christelle crie. Si c'est une fille ce sera Luna, si c'est un garçon Christophe, le saint protecteur des automobilistes...

jeudi 26 novembre 2015


Les avions


Aujourd’hui, jeudi, comme chaque matin, Julien s’est arrêté prés de l’école pour regarder le soleil se lever. Il a garé son vélo contre le panneau triangulaire avec les deux petits bonshommes qui traversent et  a ôté la pince qui retenait le bas de son pantalon. Puis il a allumé sa pipe de bruyère bourrée d’un délicieux Amsterdamer avant de s’asseoir sur le  banc de pierre, là, hors champ, face à la campagne. Julien travaille aux services techniques de Richebourg, une petite commune des Yvelines. Il s’occupe de la voirie, de la salle de fêtes,  et de l’entretien de l’école. Ils sont trois, c’est lui qui chaque matin arrive le premier et ouvre le hangar municipal. Tous les jours, le même trajet, à vélo jusqu’au banc de pierre, puis à pied jusqu’au hangar. Tous les jours le même rituel, un quart d’heure sur le banc, pas plus. Le temps qu’il faut au jour pour apparaitre et au tabac pour se consumer. Le temps de voir un avion passer, un mince trait de pinceau dans le ciel. Alors, il choisit une destination lointaine. Valparaiso, Calgary, Denver, Tijuana, Ouagadougou, Le Caire, Papeete, Adelaïde, Yocohama…Et le soir, après sa journée de travail, il sort le globe terrestre de sa boite, et avec son petit fils, ils pointent la ville choisie et imaginent comment y vivent les gens. Parfois Gislaine, sa femme, se joint à eux. Ils rient beaucoup. Julien et Gislaine s’occupent de leur petit fils depuis que ses parents ont disparu. C’était un accident d’avion, on ne l’a jamais retrouvé, on en ignore la cause.
Julien sent la pierre froide à travers son pantalon. L’hiver approche. Aujourd’hui ce sera Bombay, un pays chaud, avec beaucoup de monde…

mercredi 25 novembre 2015


Sur le quai


RER A, petit matin, le parfum du café, premiers regards sur les nouvelles aux étals. On ne bouge plus. En face, sur l’autre quai, hors champ, un homme, coiffé d’un Setson, joue avec un yoyo. Il est d’une habileté extraordinaire. Une fillette le regarde, fixement. L’homme au yoyo ignore le chagrin. La fillette le sait…

 Matin


                                                                           Nuit agitée
                                                                          Aube lisse
                                                                   Au matin, faire son lit.

mardi 24 novembre 2015



 Par la fenêtre


Un pâle sourire, quelques mots à peine articulés  et le vieil homme s’est endormi sur son lit d’hôpital. En quelques jours son regard s’est vidé et sa mémoire s’est fissurée. Son fils est là à coté, il regarde par la fenêtre. Le ciel est bas, pas d’oiseaux, pas d’avions, du gris. Et un peu de rouge, en bas. Petit à petit son attention se fixe sur ce carré rouge, avec une minuscule fenêtre.
Une boite où serait enfermé tout ce que son père n’a jamais pu lui dire. Il suffirait de poser l’oeil sur la lucarne. A l’intérieur, l’Indochine, les soieries, les boys, le Mékong, le Sénégal, le port de Dakar, l’Algérie, la guerre, la Suède, les filles sur les trottoirs. Des bruits, des odeurs, des sentiments, des passions, des doutes, des découvertes, de la musique. Les lieux, les dates, il les connait. C’est avec les mots et les émotions que son père avait des difficultés, pas avec les chiffres.
Mais la boite rouge est trop loin maintenant, il ne saura rien du coeur du vieil homme. Après tout, ce n’est rien. Elle est belle cette boite, c’est cela qui compte. Et il y a quelques arbres autour. Lui le fils, il aime les arbres. Et puis son père lui a souri quand il est arrivé, alors…

lundi 23 novembre 2015



Le conteur


 Petit, il ne pouvait parler. Chaque fois les mots se bousculaient, cognaient, hésitaient, se heurtaient, le coeur palpitait, la peau picotait, il rougissait et transpirait.
Pourtant il fallait dire, répondre, demander,  où se défendre, lui où un autre. Mais rien de cohérent ne sortait. Il se renfermait, mutique, renfrogné, au pied d’un arbre, dans la cour de l’école.
La proximité du tronc, l’écorce, son odeur, le frémissement des feuilles, la lumière au travers, étaient sa consolation. Il restait là immobile à chaque récréation. Juste là, immobile. Respirer, sentir , écouter, regarder. Regarder les autres. A force de les observer, il sut tout d’eux, il pouvait les raconter du début à la fin. Parfois il se tournait face au tronc et il parlait. Il racontait la cour à l’arbre. Ca coulait entre ses lèvres, tout bas au début, puis de plus en plus fort.
Le premier qui s’est approché, c’est Paul, un petit avec de grandes oreilles. Il le regardait en souriant, il l’écoutait. Puis les autres sont venus, et il parlait de plus en plus fort, de plus en plus clair. Colette, la fille aux couettes pour qui il avait le béguin, n’en revenait pas. Le petit Jacques parlait! Il s’est retourné, et il a continué. Chacun avait son histoire, même le vieux Justin qui avec son gilet jaune fluo veillait sur le passage clouté devant l’école.
Il sut alors que s’il cessait de raconter, il ne parlerait plus…

dimanche 22 novembre 2015


 L'Andalou



C’est un hangar sur le port d’Amsterdam. Derrière la porte,  sur les murs des taches de couleurs, sur le sol des tubes d’acrylique écrasés, des châssis sans toiles, une chaise sans paille et un vieux parapluie de berger, un grand parapluie de toile bleue, délavée. Des toiles aussi, représentant des paysages urbains envahis par la végétation, ou, sur de petits formats, des détails d’habits de lumières. Et debout devant son chevalet, Manolo, l’andalou.
Il était banderillero. Un jour il s’est fait prendre par un taureau, un Miura à la robe brune. Grièvement blessé, il s’était juré de retourner dans l’arène. Quelques mois plus tard, hué par deux mille personnes, il fuyait  devant un autre Miura avant même d’avoir pu planter ses banderilles . Alors il est parti, loin, au nord, avec juste une valise et le parapluie de son père. Il ne pouvait croiser ses compatriotes sans appréhension. Il cherchait des emplois solitaires, de nuit, loin de la terre et des bêtes. A Paris, il a fait le ménage dans une tour de la Défense, seul, le soir dans ces dédales de bureaux déserts. Il vidait les corbeilles sans penser à rien. A Hambourg, il a été vigile sur les docks. C’était plus difficile, ils était deux. Il fallait parler un peu pendant les pauses entre les rondes.  Heureusement, son collègue était un polonais peu bavard. Un soir, ils ont surpris un jeune homme qui taguait les murs et les conteneurs aux pieds des grues. Le jeune homme peignait d’immenses coquelicots rouges vif. C’était si beau qu’ils l’ont laissé faire. Le lendemain, ils ont été virés.
Depuis ce jour Manolo peint et dessine, chaque jour. Au début c’était d’étranges visages, au feutre noir. Puis sont venues les couleurs, au pastel puis à l’acrylique. Des couleurs ternes, des murs, des autos, des visages pâles, des rues désertes. Et les rues ont commencé à se peupler, les couleurs à s’aviver.
Manolo à repris sa route. Il a trouvé un poste de gardien de nuit dans un parking à Amsterdam  et surtout cet atelier dans un hangar, sur les anciens docks.
Et Manolo est là, debout devant son chevalet, cambré, les jambes légèrement écartées. le geste suspendu, le pinceau dans sa main droite visant la toile.
Il sourit. Les couleurs  explosent sur la toile…

samedi 21 novembre 2015



 Le Grenouillologue


                                       "Le grenouillologue  est souvent le dernier couché"
                                                    Parole d'une herpétologue guyanaise

 Feuillage


                                                                 Poser l’image à plat
                                                    oublier les clous et tout ce qui s’ensuit
                                                                    alors seulement
                                                la beauté d’un homme abandonné au feuillage

vendredi 20 novembre 2015


Couleurs


                                   Les couleurs des bateaux, plutôt que celles des drapeaux
                                         Des chansons à boire, des chansons d’amour
                             En plein vent se balancer et s’enlacer, hisser les voiles blanches
                                          Abandonner nos peurs aux branches mortes
                                 Et dès l’hiver partir vers le sud,  où se posent les oiseaux

Noir



Il était tout près quand les hommes sont tombés. Alors ce bateau noir s’est posé dans sa mémoire.
Combien faudra-t-il de marées avant qu’il ne s’en aille, combien de jours avant que les fleurs et le ciel reprennent leur place…

jeudi 19 novembre 2015


 L'homme au scooter


Cet homme attend sa fiancée. C’est toujours là qu’il donne ses rendez vous. Sous cet arbre. Là où il s’était étendu, épuisé, après avoir traversé le fleuve, une nuit d’orage, fuyant le Surinam en guerre. C’était il y a quelques années. Aujourd’hui il a un scooter bleu. Un jour, ce sera  un pickup  Toyota blanc…


 La route


Une route en Guyane. Au milieu de nulle part.
Trois jeunes enfants viennent de traverser avant de disparaitre dans la forêt. Trois jeunes saramakas, nus. IIs portaient sur leur tête des bidons d’eau, en plastique bleu vif. L’ainé marchait devant, le plus petit derrière. Sur le bidon du premier était collée une page déchirée d’un album de Tintin: le trésor de Rackam le rouge ….

mercredi 18 novembre 2015


Doëlan



Michel est là, debout, hors champ, dans son petit jardin qui surplombe le port de Doëlan. Il est grand pour un breton, le dos légèrement vouté, une belle moustache blanche en guidon de vélo. Ce matin, il n’a pas allumé la télé, ni la radio. Il lui fallait respirer. Il a nettoyé son jardin, ratissé les graviers  et taillé les rosiers. Puis il s’est assis sur la chaise en osier, face à la mer. Cela ferait une jolie carte postale, une carte qu’on envoie quand tout va bien. Michel ne se sent pas très vaillant ce matin. Le petit bateau noir, là bas, c’est le sien. Ca lui fait du bien de le voir. Il en prend  bien soin même s'il prend de moins en moins souvent la mer.
Michel respire. L’air est doux. Il pense à son grand père qui partait pendant des mois pécher la morue en Islande. Pendant des mois, aucune nouvelle. Et à son retour, apprendre que l’un s’était marié, qu’un autre avait eu un fils ou une fille, mais aussi, et on avait pas été là, que d’autres avaient disparu…


 Debout


L’élagueur vient de passer. Le vieux marronnier projette insolemment son ombre, l’air de dire: je suis toujours debout…

mardi 17 novembre 2015


L'homme qui comptait ses pas



C’est pour elle qu’il a acheté cette voiture. Jaune, pour la lumière et la nostalgie. Jaune, pour Van Gogh et l’Andalousie. C’est pour elle qu’il a vendu son bateau et est venu habiter sur Java Eiland. C’est pour elle qu’il a rasé sa barbe et coupé ses cheveux. Il lui a offert le seul livre qu’il possédait, un exemplaire unique, dédicacé, de « Initiation à la haute volupté » de Isidore Isou.
Ils se sont rencontrés sur un quai de Bruxelles-Nord. Il était tard, la gare était déserte, il lui a raconté l’histoire de Nasr Eddin Hodja et sa poule qui pense.  Ensemble, Ils ont bu du vin espagnol et dansé au son des bandas. Ils faisaient l’amour partout, tout le temps, dès qu’ils se sentaient à l’abri des regards.
Et puis plus rien. Elle riait moins à ses histoires. Elle dormait toujours à ses cotés mais refusait qu’il la caresse. Elle posait la tête sur sa poitrine, le regard de plus en plus lointain. Elle ne  disait rien.
Ce matin, elle lui a simplement dit : Pars. Il l’a regardée, longuement. Et il est parti. Sans rien emporter, comme il fait à chaque fois.
L’appartement, c’est la fenêtre visible au fond de l’image.
Lui, il est là, à peine visible, déjà. Il compte ses pas. Si au bout de cent cinquante pas elle ne le rappelle pas, il part définitivement. A pieds. Même la voiture, il la laisse. Cent cinquante pas.
La dernière fois, à Valparaiso, avec Catalina, c’était quatre vingt dix pas…

lundi 16 novembre 2015


Tir aux pigeons


J’ai fait cette photo il y a quelques jours à Amsterdam. C’était beau ces bouteilles dans la lumière. Et cet homme seul. Je voulais raconter une histoire d’amour, d’attente, de joyeuse solitude. Mais ce matin, lundi 16 novembre, la seule chose que je vois c’est un stand de tir à la foire où les bouteilles alignées vont exploser une à une et un homme infiniment triste.

dimanche 15 novembre 2015


 Les infos de sept heures


L’homme en jaune regarde tomber les bateaux. Après les infos de sept heures, il est sorti avec son chien, le regard brouillé. Il a marché sur les docks, vite. Puis il s’est assis à bout de souffle. Il laisse ses larmes couler et caresse son chien. Ce matin l’enfant qu’il a été lui tourne le dos…

samedi 14 novembre 2015



Vendredi 13 Novembre


Pas un homme dans cette image. Des âmes, par centaines.
A l’aube, au réveil, les nouvelles. Des larmes, d’abord. Puis réveiller ma compagne pour partager mon effarement.  Aujourd’hui, pas d’histoire, pas de souvenir, le silence… et puis non, ne jamais se taire. Monter le son de la musique et ouvrir grand les fenêtres. Il y a quelques jours je parlais du rêve d’un monde pacifié. A nouveau, ma foi est ébranlée.  Ma foi en l’homme. Pas celle en un quelconque dieu qui vous mène sur des chemins bordés de hauts murs. Je sais bien qu’il y a toujours un envers et un endroit, qu’il n’y a pas de lumière sans ombre, mais j’ai toujours pensé que notre tâche était de gagner en clarté et que cela était possible. Tant de personnes aimantes! Et à nouveau le doute. Quelles armes face à l’ahurissante bêtise? Résister, bien sur. Et combattre.
Et si tous, de partout, nous marchions vers la Syrie accompagnés de toutes les bandas, les harmonies, les fanfares , les chorales, de tous les orchestres, du monde entier avec comme étendards des peintures de tous, célébrant la vie. Un tsunami poétique. Les premiers tomberont, mais le flot restera ininterrompu jusqu’ à submerger la violence aveugle. Quelle naïveté!  Mais comment tenir sans utopies? Mais comment abattre un mur sans masse?
Voilà. Je n’ai pas de réponse mais jamais je ne me tairai, ni me terrerai…

vendredi 13 novembre 2015




"Toute ma vie j'ai rêvé..."


En bas, un coq chante, la brume se dissipe. Elle n’en pouvait plus. Prise dans la toile de sa directrice, une araignée de velours noir. Des nuits à se tourner et se retourner dans son lit. Cette ride au milieu du front qui ne s’efface plus. Les jambes lourdes, chaque matin. Et la gorge qui se serre chaque fois que sont prononcés les mots  « performance » et « prospective ».
Alors un matin, à coups de ciseaux, elle a coupé les fils du téléphone, de l’ordinateur et du congélateur et elle a pris un billet pour la Patagonie.
Elle est là haut dans l’avion. Elle chante une chanson de Jacques Dutronc à l’homme d’affaire  du siège d’à coté qui ne comprend rien…

jeudi 12 novembre 2015


Mémoire



                      Un jour je partirais vers le grand nord avec une grande armoire sur le dos,
                                                       pour y enfouir tous mes souvenirs,
                                                                            au cas où…

Thierry La Fronde


Juste là, devant, Simon s’est arrêté devant les pierres qui lui indiquent le chemin. Enfant, il se rêvait cowboy, pirate, Zorro ou Thierry la Fronde.
Il avait une dizaine d’années. Vêtu du costume de Thierry la Fronde qu’il venait de recevoir pour noël il partait à l’assaut des caves de la cité où il vivait, armé de son épée de plastique ornée de «rubis » rouges et jaunes. La tenue le serrait un peu, lui qui était un enfant rondouillard, mais il ne s’en souciait guère, il n’était alors plus Simon mais l’intrépide Thierry. Hélas dès la première offensive contre la porte du bâtiment A,  son épée s’est brisé, et Simon, penaud, est rentré chez lui, au troisième étage du bâtiment F.
Maintenant, c’est un bel homme, musclé, dans la force de l’âge, qui, au cours de ses longues marches solitaires, rêve toujours à d’autres temps…

mercredi 11 novembre 2015


Eurydice


                                                            Elle est partie, son Eurydice.
                           Sur le chemin, il fuit son chagrin. Son sac pèse mais le pas est alerte.
                                                       Va, va et surtout ne te retourne pas…


le  Manque


Elle s’est assise, prés du mur, le coeur en vrac, un trou béant en dedans, au plus bas des montagnes russes. Elle sait qu’il l’aime, elle sait qu’il reviendra, mais chaque fois le manque lui coupe les jambes. La promesse du retour n’est rien en regard de cette violence, il faut en finir avec cette histoire…

mardi 10 novembre 2015



Demain


Ce bâtiment est le conservatoire de musique d’Amsterdam. Au troisième étage Angélique joue de la Harpe. Camille Saint- Saëns. Fille où garçon, elle appellera son enfant Camille. Bientôt elle ne pourra plus jouer, son ventre se déploie, de plus en plus.
Elle joue et l’enfant s’agite. Il frappe en dedans, impatient.
Elle joue et soudain l’émotion l’envahit, des images affluent, les herbes mouvantes des « Moissons du ciel » de Terrence Malick, puis le fleuve dans l’ouverture du « Nouveau monde » du même réalisateur, entre chaque notes s’insinuent des bruits d’eau, des chants d’oiseaux.
Elle joue et l’enfant cogne.
Et puis ces images, bouleversantes, celles de « Soleil Vert »  de Richard Fleisher où l’on projette les merveilles d’un monde disparu à ceux qui vont mourir.
Elle ne joue plus. L’enfant se calme. Elle pose une main sur son ventre, regarde son ventre.
Elle se lève, va à la fenêtre, regarde la ville, le ciel, et pose à nouveau la main sur son ventre…

lundi 9 novembre 2015


Collection 2


Il collectionne les sons. Il est venu là sur cette dune pour le vent dans les herbes.
Mais à l’instant, il vient d’entendre dans son casque un père appeler son fils. Pourtant il est seul.
Absolument seul...


Collection  1


Il aurait voulu emporter toute sa collection de baskets, mais le coffre est trop petit. Surtout qu'il y a déjà les 52 albums de timbres de son père qu'il n'a strictement pas le droit de vendre. Il lui a promis. Il a fallu choisir. Il n'a gardé que les Nike. Ce sont les plus colorées et il aime bien le sigle. Une virgule. La route va être longue jusqu'au pays, surtout qu'il a de longues jambes. Mais il se sent maintenant plus léger, alors...
                                                                                           (Photo  Bernard Jolivalt)

dimanche 8 novembre 2015


14 juillet



Hors champ, un homme, noir, seul, avec une petite valise de skaï beige. Il vient de loin. Nous sommes quelque part près de la frontière espagnole. Il s'est éloigné de la foule en liesse. Il se bouche les oreilles, il ne supporte pas ce bruit..

Guerre et Paix


Ma grand mère avait les cheveux comme les nuages. Elle s’appelait Marguerite, elle avait les yeux bleus. Un jour, j’avais six ans, nous sommes allés au musée de la marine. Elle et moi. Seulement elle, et moi, le petit garçon qui déjà rêvait d’aventures. Elle m’avait offert un petit navire de guerre. Une maquette argentée. Avec des canons. Sur le chemin du retour je tenais fermement le bateau, joyeux et fier, l’autre main dans celle de ma grand mère. A sa mort, j’avais huit ans, j’ai pleuré. Pas beaucoup. Comme un enfant qui n’a de cesse de jouer. A son enterrement, on m’avait habillé d’un blazer bleu marine, une chemise blanche et une cravate noire qui tenait par un élastique. Je rejetai ma cravate sur l’épaule,  comme James Bond en pleine action, et courai dans le jardin poursuivi par mes cousins armés de fusils de bois.
Elle est sur sont lit, adossée aux oreillers. Le dessus de lit, replié aux pieds, est vert. La lumière tamisée de la chambre effleure ses cheveux roulés en tresses sur les cotés. Elle sourit. C’est la dernière image que j’ai d’elle. Une image infiniment paisible.
Je n’ai pas fait mon service militaire. En âge de partir, je refusais toute autorité et surtout commençais à « faire l’acteur ». Il n’était pas question de couper cet élan vers ce monde de jeu, d’images, de mots, de poésie et de rencontres qui me semblait si familier et nécessaire.
Et jamais je n’ai cessé d’aimer jouer au cowboys et aux indiens, tout en rêvant d’un monde pacifié…

samedi 7 novembre 2015


Pièce pour basson et orchestre


 Sa peine était si lourde. Alors elle s’est allégée. Elle a vidé la maison, petit à petit, Ne conservant que l’essentiel. Ses partitions, ses instruments et quelques vêtements de scène. Dans le grand séjour du rez de chaussée, il n’y a plus que tous ces petits tas de papiers blancs et ces bois, posés contre le mur. Des tableaux, il ne reste que les traces grises.
Et elle joue. Chaque jour. L’été, elle s’installe au fond de la pièce, le regard vers l’extérieur.
Dès l’automne, elle se rapproche de la fenêtre,  et se tourne vers l’intérieur.
Aujourd’hui elle travaille la romance pour basson et orchestre d’Edward Elgar. Chaque note la rend encore plus légère. Lentement, elle s’efface…

vendredi 6 novembre 2015



Mexique


Marcia est bien lasse ce matin. Elle a passé la nuit chez Frans. Frans est un vieil homme qui ne tient plus sur ses jambes et ne parle plus que par signes. Parfois il tombe, il ne dit rien et attend que quelqu’un vienne. Parfois il pleure, il faut alors lui prendre la main, juste la tenir. Parfois il s’oublie, alors il faut nettoyer. Parfois il râle, peste contre le monde entier, alors il faut être patiente, d’une infinie patience. C’est son travail, à Marcia. La patience et la tendresse.
Mais ce matin, à Centraal Station, Marcia est lasse. Elle n’en peut plus des escaliers étroits des maisons d’Amsterdam.
 Elle prend un billet pour Hoofddorp. Là bas il y a Egbert. Lui, il ne peut plus se lever, mais il parle, sans arrêt, un discours incohérent où toutes les générations et les évènements sont sans dessus dessous. Une rivière en crue qui charrie ses débris.
Marcia prend son billet pour Hoofddorp. Elle est si lasse. Elle n’en peu plus des brumes néerlandaises.
 C’est au Mexique qu’elle aimerait partir. Retourner chez elle. Revoir son grand père qui attrapait les serpents à sonnette et avait vu Pancho Villa…

jeudi 5 novembre 2015


Le Skater



Hors champ, un petit garçon regarde le jeune homme danser sur sa planche. Il est en culotte courte et porte des baskets qui clignotent quand on marche. Ses parents viennent de l'emmener au deuxième étage de la Tour Eiffel. "Ouais, on a pris l'ascenseur, y avait plein de monde qui collait. Là haut, c'était.... C'était haut quoi.... En plus y a des grilles, je suis trop petit, je vois pas grand chose et papa ne peut pas me porter, il a mal au dos, qu'il dit. On est redescendu manger une glace au Trocadéro, c'est comme ça que ça s'appelle cet endroit où les grands dansent sur des roulettes. C'est joli comme mot, Trocadéro..."
Le petit garçon se dit qu'il demandera une planche à roulette à Noël. Ses yeux brillent. Il reste là sans bouger. Il n'entend plus sa mère qui l'appelle.
Le jeune homme qui danse ne pense à rien, il danse...                   (Photo Lisa Koppe)



Mathilde


Elle semblait si fragile à sa naissance. Et pourtant  à neuf mois elle marchait, à quatre ans elle apprenait à lire et à écrire toute seule. Elle observait. Tout. Elle écoutait et regardait les adultes avec une extrême attention. Très tôt ses parents l'ont sentie maîtresse de son destin. Un jour, elle avait cinq ans, haute comme trois pommes, debout face à leur bibliothèque, elle demandait avec gourmandise:" Et ça, je pourrais tout lire? ».
Et il y a ces anges, dans le film de Wim Wenders, Les Ailes du Désir, qui , perchés sur les rambardes, dans une grande bibliothèque de Berlin, veillent sur les lecteurs…

mercredi 4 novembre 2015


Sur la plage en hiver


La femme   -  Tu crois qu’il a froid le chien?
L’homme    -   Non, il a des poils.
La femme   -  Je  n’aimerais pas me réincarner en chien.
L’homme    -   Pourquoi?
La femme   -  Trop dépendant.
L’homme    -   N’empêche qu’il n’a pas froid lui.
La femme   -   Oui, mais qui le nourrit?
L’homme    -    De toute façon tu ne te réincarneras pas.
La femme   -   Pourquoi tu dis ça!
L’homme    -   Parce que après il n’y a rien.
La femme   -    Qu’est ce que t’en sais?
L’homme    -    C’est comme ça, c’est tout.
La femme  -     Mais rien, c’est déjà quelque chose, puisqu’on le nomme.
L’homme    -    Alors tu crois que tout ce qui est nommé existe?
La femme  -    Oui.
L’homme   -    Un crô, ça existe?
La femme  -  Un quoi?
L’homme   -  Un crô, je viens de l’inventer, c’est un chien avec un corps en forme de bouteille de
                     bière et une tête et des pattes en neige.
La femme  -  Et toi, qui est-ce qui t’a inventé?
L’homme   -  Ma mère .
la femme   -  Et elle?
L’homme   -  Sa mère
La femme  -  Et avant, avant, avant..?
L’homme   -  Oh, je ne sais pas moi! Rien… Voilà!
La femme  -  Ah, tu vois on y revient!
L’homme   -  A quoi?
La femme  -  A rien!
L’homme   -   Et alors
La femme  -  C’est bien que c’est quelque chose…
          (un temps)
L’Homme  -  Et toi, le chien, qu’est ce que t’en penses?

Le chien ne dit rien…
Mais n’en pense pas moins…

mardi 3 novembre 2015


Mur


Je me souviens d’un homme qui attendait, une valise à la main, à un arrêt de bus. Les autobus passaient et jamais il ne montait. Il regardait sans cesse à droite, à gauche. C’était à Epinal, au pied d’un hôtel où je passai la nuit. L’homme était là à mon arrivée, vers onze heures. Encore là à quinze heures, puis à dix neuf heures, à vingt trois heures et toujours là à deux heures du matin, regardant toujours à droite et à gauche. Au matin, à peine réveillé, je regardai par la fenêtre, l’homme n’était plus là. Au moment de partir, je questionnai le réceptionniste à son sujet. Celui ci le connaissait bien: il s’appelait Jean, était déficient, comme on dit, et sa mère était morte depuis peu.
Chaque jour entre dix heures et trois heures du matin, jean venait là. Il attendait sa mère…

lundi 2 novembre 2015


Mon Oncle


La veille de la toussaint, je visite la maison de Rembrandt à Amsterdam. Dans son atelier, ses collections d’objets singuliers: coquillages, caïmans empaillés, arc, flèches, crânes d’animaux, carapaces de tortues,  lances, épées, fossiles, cornes, papillons…
Et je pense à mon oncle, mon parrain, Pierre. Enfant, je l’appelait Grand Pierre. J’adorais monter dans son atelier. Il y avait un jeune crocodile empaillé et cette odeur envoutante de la peinture à l’huile. Plus tard, dans son second atelier, nous aimions y discuter, bien installés face au chevalet autour d’une tasse de café. L’odeur avait changée, il peignait alors à l’acrylique, mais  toujours autant de merveilles entre ses toiles, ses sculptures et tous ces objets sur les étagères.
Ils aimait les paysages, les insectes et les couteaux. J’aime les paysages, les insectes et les couteaux.
C’est lui , Pierre Igon, qui a peint ce petit triptyque. Fermé, il a la taille d’un livre. Je pourrais l’emporter partout avec moi. Il est là, ouvert, sur mon bureau.

dimanche 1 novembre 2015


 le secret



  Sangokou a dix ans. Il se tient là, devant, hors champ. Il n’ose pas s’approcher, les statues des blancs lui font peur. Il est vêtu d’un t-shirt jaune et vert, les couleurs de l’équipe de foot du Brésil, bien trop grand pour lui. Il est pieds nus, son short est déchiré, il pleure. Son grand père vient de mourir, il lui tenait la main. Toutes ces veines sombres en relief sur cette grande main, c’était comme ces rivières où on peut se perdre. Juste avant de partir, son grand père lui a dit un secret. Sangokou le gardera, il ne le dira même pas à la statue, il le gardera pour celui qui sera à ses cotés quand il sera très vieux et prêt à partir….

"Que ma joie demeure"



Charlotte et Jean sont enterrés à moins d’un mètre l’un de l’autre. Charlotte, c’est la croix blanche, au centre, le caveau de la famille Mazeaud. Elle repose à droite de son mari, Lucien. Elle s’est éteinte à quatre vingt treize ans, au repas de Noël des anciens, après avoir avalé de travers un pépin de pamplemousse, trois jours après la mort de Jean. Jean est tombé de son toit à quatre vingt dix ans. Le vent avait plié son antenne, il ne pouvait plus voir son feuilleton préféré, « Au nom de la loi », avec Steve McQueen. Il est monté, il a glissé et a chuté trois mètres plus bas sur les géraniums de sa femme, Michelle. Sa croix, c’est la noire, juste à droite de celle de Charlotte, famille Tribout. Michelle, sa femme, vit toujours.
Charlotte et Jean se sont aimés passionnément pendant des années à l’insu de tous.
Juste après l’enterrement de Jean, Charlotte est venue, la nuit, et elle a gravé en tout petit sur le granit: « à mon Josh ». Comme Josh Randall, son héros préféré, celui de « Au nom de la loi ». Josh, c’est comme ça qu’elle l’appelait lorsqu’ils se retrouvaient en cachette dans les sous bois. Passé quatre vingts ans, ils se caressaient encore tendrement au fin fond de la hêtraie.
Maintenant, ils sont là, chacun dans leur tombe, mais si prés l’un de l’autre, face aux forêts dont ils n’ignoraient plus aucun recoin. Et leurs âmes batifolent au nez et à la barbe de tout le village…